J'ai dormi au bord du gouffre
La nuit était si aveuglante qu’on aurait pu la croire permanente
recroquevillé plié comme par une douleur insurmontable
j’entendais j’écoutais le si vaste trou s’approfondir
ce trou que j’avais contribué à creuser avec tant de passion
j’aimais la mauvaise odeur de cette terre aux cadavres de larves
je me délectais du sang noir de cette maladie incurable
que j’avais voulu développer en mon corps voluptueux
nourri de désirs pervers conduisant fatalement au néant
je me roulais dans ce rêve massif agité et crasseux
je prenais plaisir à me brûler au contact de ma brutalité
je griffais l’horizon novateur qui apparaissait pour moi
je ne me détournais pas du miroir d’où surgissait ma laideur
je suis encore là toujours vivant parmi mes décombres
je ne peux donc pas continuer de meurtrir cette conscience
qui veut rester debout malgré l’horreur intime
contre cette stupide idée de destinée malheureuse
ce malheur qui n’est qu’une vue de l’esprit souffreteux
et je sais que ma grimace devant le gouffre mangeur de chair humaine
est la blessure d’un spectre ayant brusquement vieilli
et qu’il ne pourra plus jamais prendre ma place
je sais aussi que je n’ai fait que fabriquer ces rues tortueuses
dans lesquelles je goûtais au plaisir de gémir comme un animal
comme une bête hideuse et dépourvue de regard
sa tête honnie allait interminablement paresseusement rouler sur le sol
dans cet espace qui devenait absurdement circulaire.