Poème-futur (2)
les rats sont peut-être tous décédés
je sais qu'ils avaient perdu la raison
il n'y a pas d'autre explication possible
courbé je sors de ma cachette et j'entends des pas
mais je ne me retourne pas vers le pâle soleil
comme si des ordures avaient pris forme humaine
comme si leur idée était de devenir mes ombres
mais j'allonge le pas je laisse le soleil loin derrière moi
je les laisse très loin elles seraient capables de me faire du mal
il n'y a donc plus de vie humaine dans le nouveau monde
je m'arrête de marcher
je me fige une grimace commence à se former
et c'est comme si je vomissais le soleil
un soleil devenu infect me rendant livide
rendant livide ce sol qui sous peu va se craqueler
et plus rien ne sera possible
c'est donc moi le poète de l'après-monde
à moins que je ne meure à force de rendre le soleil
je me redresse les bras le long du corps
comme si l'horizon allait se reconstituer
mais je ne veux pas croire en la fin d'un monde
je me dis que ce serait trop facile
mon esprit continue de s'ouvrir il n'y a pas de raison
bientôt je serai vaste et je n'aurai plus à me cacher
je me dirai même que les animaux furieux ne furent qu'une illusion
le soleil ne sera plus terne
et je pleurerai pour la première fois de ma vie
dis-toi que tout cela n'existe peut-être pas
que tu ne marches peut-être pas sur des cadavres
ces rues n'ont donc plus d'existence tangible
et je ferme les yeux parce que le jour est devenu aveuglant
un jour comme je n'en ai jamais connu
un jour qui pourrait effacer tous les paysages tant il est blanchâtre
mais je continue de marcher
à force de vagabonder on finit bien par se retrouver
on finit par buter sur un miroir
ce miroir respirant comme un corps revenu à la vie
il n'attendait plus que vous pour vous faire renaître vous aussi
c'est bien cela et même si l'asphalte est saisi d'un mouvement ondulatoire
même si ce mouvement du sol est inédit
l'effroi celui de mes faux rêves d'antan
cet effroi n'est plus et c'est comme si une voix m'appelait
une voix du miroir ou des miroirs
les voix des miroirs de tous les miroirs
parce que les miroirs ont cette lumineuse tendance à se multiplier
dis-toi aussi que la fin de la réalité fallacieuse n'est plus très loin
dis-toi des tas de choses sache que tu auras toujours raison
touche le miroir il ne peut t'être hostile
dis-toi que les miroirs sont comme des âmes qui n'attendent que toi
et cette chaleur qui m'accable cette chaleur qui ne cesse de croître
mais il faut bien continuer d'errer même en enfer
même si tu ne crois pas à la vérité des miroirs
pourtant leur existence est pleine d'amour pour moi
il ne faut pas que je cesse de me le répéter
on ne fait que répéter la réalité c'est certain maintenant
il ne faut donc pas avoir peur de soi-même
ni du soleil aux dimensions devenues risibles
même les astres peuvent devenir négligeables
c'est ce que je me murmure tandis que le sol noircit
mais les miroirs me réfléchiront encore ces miroirs ne se brouillent pas