Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les Vers Luisants
1 septembre 2016

Pourtant, j'étais fort mauvais poète. Je ne

Pourtant, j'étais fort mauvais poète.
Je ne savais pas aller jusqu'au bout.
J'avais faim
Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres
J'aurais voulu les boire et les casser
Et toutes les vitrines et toutes les rues
Et toutes les maisons et toutes les vies
Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés
J'aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaive
Et j'aurais voulu broyer tous les os
Et arracher toutes les langues
Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m'affolent...
Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe...
Et le soleil était une mauvaise plaie
Qui s'ouvrait comme un brasier.
En ce temps-là j'étais en mon adolescence
J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissance
J'étais à Moscou où je voulais me nourrir de flammes
Et je n'avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux
En Sibérie tonnait le canon, c'était la guerre
La faim le froid la peste et le choléra
Et les eaux limoneuses de l'Amour charriaient des millions de charognes
Dans toutes les gares je voyais partir tous les derniers trains
Personne ne pouvait plus partir car on ne délivrait plus de billets

Et les soldats qui s'en allaient auraient bien voulu rester..

Un vieux moine me chantait la légende de Novgorod.
Moi, le mauvais poète, qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout
Et aussi les marchands avaient encore assez d'argent pour tenter aller faire fortune.
Leur train partait tous les vendredis matin.
On disait qu'il y avait beaucoup de morts.
L'un emportait cent caisses de réveils et de coucous de la forêt noire
Un autre, des boites à chapeaux, des cylindres et un assortiment de tire-bouchons de Sheffield
Un des autres, des cercueils de Malmoë remplis de boîtes de conserve et de sardines à l'huile
Puis il y avait beaucoup de femmes
Des femmes, des entrejambes à louer qui pouvaient aussi servir
Des cercueils
Elles étaient toutes patentées
On disait qu'il y a avait beaucoup de morts là-bas
Elles voyageaient à prix réduit
Et avaient toutes un compte courant à la banque.
(La prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France- Blaise Cendrars)

Blaise-Cendrars_5947

Publicité
Publicité
Commentaires
Les Vers Luisants
Publicité
Archives
Publicité