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Les Vers Luisants
24 juillet 2016

Petites comédies sentimentales (9)

        Il y avait déjà un certain temps que je me doutais que mes voisins avaient le pouvoir de se métamorphoser en chiens, mais je fus tout de même surpris de voir ma toute jeune voisine de palier, Marion, à qui j'ouvris la porte parce qu'elle y avait gratté en me disant son nom, métamorphosée en une petite chienne blanche, aux yeux très tendres. Bien sûr, comme nous nous croisions chaque matin quand nous allions faire notre jogging et que, par conséquent, nous entretenions des rapports cordiaux, je n'allais pas lui reprocher de jouer ce jeu que je considérais comme stupide; je préférai la faire rentrer chez moi, un peu mal à l'aise, parce que je ne savais que lui proposer. Finalement, je renonçais à lui donner un morceau de côte de boeuf qui restait dans le frigidaire, ce qu'elle aurait pu mal prendre. Comme lisant dans mes pensées, elle me dit qu'elle mangerait des croquettes plus tard, que, du reste, elle était trop nouée pour avoir faim; elle m'expliqua alors la situation, qui était extrêmement préoccupante. En effet, elle me dit que, malgré toute sa bonne volonté, elle ne pouvait plus reprendre forme humaine, comme elle en avait encore la capacité hier et que tous les locataires, sans exception, de l'immeuble étaient désormais dans la même impossibilité, puis, comme je m'installais dans le canapé et que s'allongeant près de moi, elle posait sa tête sur mes jambes, elle ajouta que les rapports entre les chiens de l'immeuble devenaient de plus en plus tendus; à ce moment-là, nous entendîmes un hurlement, suivi d'un grognement. 

        Puis elle me parla de Mme Berthier, le loulou de Poméranie, la voisine du quatrième étage, dont le sort ne faisait pas de doute pour elle; elle avait sonné à sa porte tout à l'heure, tout en se doutant bien qu'elle ne lui ouvrirait pas, parce qu'elle avait été dévorée par les dogues allemands du troisième étage, des fous furieux qui allaient probablement descendre jusqu'ici, au premier étage, pour nous dévorer, nous aussi. Elle me lécha pendant quelques secondes les mains; elle savait bien qu'il fallait rétablir au plus vite la paix entre toutes les races de canidés avant que l'espèce ne disparaisse. Elle soupirait sous mes caresses quand de nombreux aboiements se firent entendre dans les escaliers; les dogues allemands se battaient contre les bergers belges du cinquième étage, s'entretuant certainement. Puis, bondissant du canapé, elle m'invita à la suivre dehors, si je voulais survivre; et tous deux nous dévalâmes, paniqués, les escaliers salis de gros excréments. A l'extérieur, haletant, nous demeurâmes figés devant la porte de l'immeuble, écoutant les aboiements et les couinements de douleur qui se multipliaient, puis, un peu plus tard, le silence s'installant, je dis à Marion, dont la queue frétilla, que les chiens allaient trouver une solution pacifique et qu'elle reprendrait très vite forme humaine. Puis, regardant autour de moi, je remarquai que certains habitants du périmètre étaient eux aussi figés devant leur immeuble; l'épidémie de métamorphoses sans retour possible semblait commencer, mais je n'en parlai pas à Marion qui me regardait avec tant d'amour.

 

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